Plus de peur que de mal: telle est la leçon que l’on peut tirer, à ce stade, de l’été 2024 des festivals musicaux en France. Même s’il est trop tôt pour que le ministère de la Culture compile l’ensemble des résultats à travers le pays et publie un bilan officiel, la véritable terreur qu’inspirait à certains organisateurs la perspective de voir leur programmation éliminée par la concurrence des Jeux Olympiques de Paris paraît aujourd’hui foncièrement exagérée, comme aurait dit Mark Twain. A la fin de l’an dernier, alors que les derniers préparatifs des Jeux de Paris battaient leur plein, nombre de ces responsables, prompts à jeter le manche après la cognée, affectaient de vouloir annuler sur-le-champ leurs programmes, de peur qu’une fréquentation trop basse n’engendre de lourdes pertes, ruinant ainsi l’équilibre de leur modèle d’affaires et, le cas échéant, les obligeant à mettre la clé sous la porte. Il n’est pas interdit d’attribuer à cette orchestration systématique des craintes le subtil propos d’ouvrir les vannes de subventions plus généreuses. Il n’en reste pas moins que 95% des événements programmés se sont déroulés comme prévu – soit un total de 7283 manifestations culturelles, majeures ou plus exclusives – à travers la France, à commencer par les figures de proue de l’été musical français, Vieilles Charrues, Rock-en-Seine et autres Francofolies.
Les éternels inquiets ont pourtant eu raison sur un point: les Jeux de Paris ont captivé l’attention sans réserve des médias, ce qui explique et confirme à la fois l’indéniable succès du pari français. La plupart des festivals musicaux ont cependant bâti leur réussite sur la qualité de leur programmation et le bouche à oreille plus que sur la résonance médiatique afin d’attirer et fidéliser les foules. Apparemment, la qualité était au rendez-vous cette année encore, et le pouvoir d’attraction de ce facteur fondamental a tenu en échec l’énorme “force gravitationnelle” des Jeux Olympiques.
Le score pourrait cependant être en baisse, en matière de nombre d’entrées, du côté des événements de moindre ampleur ou renommée, ou simplement de création plus récente. Ce point, s’il devait être confirmé offciellement, serait moins la conséquence de la concurrence olympique que celle de deux ‘lames de fond’:
– la stagnation économique qui affecte l’Europe depuis des mois;
– la place prépondérante prise par la sécurité, préoccupation prioritaire que, malgré son coût croissant, les organisateurs ne sauraient ignorer qu’à leur détriment et celui de leurs fidèles, ainsi que l’ont montré récemment les tragiques attaques de Solingen.
Si l’on ajoute à ce sombre tableau une météo capricieuse, souce éventuelle d’annulations ou de reports de dernière minute, on comprend que le désarroi ou l’accumulation des difficultés pratiques aient amené certains amateurs à renoncer, mais ce n’était qu’une minorité.
Avant même que la publication d’un bilan officiel ne vienne confirmer ou infirmer les impressions ci-dessus, nombre d’organisateurs se livrent à l’exercice stratégique qui consiste à envisager les voies et moyens d’adapter leur modèle d’affaires en vue de faire face à un avenir qui s’annonce difficile: aucun signe en effet de reprise économique à l’horizon, et tous les indicateurs au rouge, en revanche, en matière de sécurité. L’une des options consisterait à limiter les cachets versés aux têtes d’affiche, au risque toutefois d’altérer la programmation, carré d’as des événements qui ont su inscrire leur réussite sur le long terme. Une autre solution reposerait sur des relations plus étroites avec les autorités locales, voies d’accès incontournables aux sites et populations des terroirs considérés et/ou des contrats remaniés avec les sponsors.
Il convient enfin – pour à la fois faire pièce aux fauteurs de panique et justice aux innombrables facettes des Jeux de Paris – de souligner leur volet culturel: depuis l’hommage appuyé rendu au jeu vidéo (le porteur de la flamme olympique s’inspirait manifestement de Assassin’s Creed, la série-culte d’Ubisoft; une vidéo spéciale des Minions a consacré la renommée mondiale de l’Ecole des Gobelins à Paris) jusqu’à la célébration de l’inimitable ‘French touch’, dans le domaine de la mode – comme en témoigne la créativité sensationnelle des costumes présentés sous la houlette de Daphné Bürki – comme dans celui de l’innovation pure, qu’illustre puissamment la torche olympique imaginée par Mathieu Lehanneur, le zénith du sport mondial a fait une large place à la culture, pour l’insigne plaisir de tous les spectateurs, sur place ou autour du monde.
Les faits ont donné raison aux optimistes et aux entrepreneurs. Cette aubaine suffira-t-elle à réduire au silence, au moins temporairement, nos Cassandre modernes?