Dans le droit fil des traditions françaises, l’Assemblée nationale a décidé de relever le défi qui consiste à protéger le spectre dit “culturel” des ambitions d’autres secteurs, notamment celui des télécommunications mobiles. Elle vient en effet de se donner les moyens de prendre la tête des Etats prêts à pourfendre les ennemis de la culture européenne. Plus précisément, la commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution européenne dont l’article unique sonne comme une profession de foi: dans la télévision numérique terrestre (TNT) en tant que vecteur unique en son genre du service public; dans l’accès gratuit de tous à une information sûre et à une culture de qualité; dans une technologie qui a fait ses preuves pour assurer la cohésion sociale, y compris en temps de crise. L’article unique rend également un hommage appuyé au secteur PMSE, celui des concerts publics, qui opère dans la même plage de fréquences que les radiodiffuseurs et qui est devenu le mode préféré de création et de diffusion de la musique, prenant ainsi sa part – paradoxalement silencieuse, car peu citée dans les rapports officiels – dans le rayonnement culturel de l’Europe.
Le langage utilisé par les législateurs regorge inévitablement de jargon juridique et de références techniques, mais le propos de leur initiative n’en est pas moins limpide:
- Si la TNT renonce à l’allocation primaire de la bande 470-694 MHz, elle signe son arrêt de mort. Les Français ne renonceront pas sans peine à une technologie qui demeure leur voie d’accès préférée – parfois exclusive, dans certaines zones – à la télévision. Il en va de même pour le secteur PMSE, dont les activités reposent aussi sur cette partie du spectre.
- La TNT remplit toutes les conditions que peut souhaiter un gouvernement: fiabilité impeccable, y compris en temps de crise, égalité d’accès, facteur de cohésion sociale, soutien d’une démocratie fondée sur la souveraineté nationale.
- Dès lors, la France est appelée à prendre la tête d’une croisade rassemblant ceux de ses partenaires qui croient en l’importance vitale de la culture pour l’identité européenne et sont prêts à défendre le maintien à des fins culturelles de l’allocation de cette portion du spectre qui, pendant des décennies, a fourni les clés de la réussite aux radiodiffuseurs et aux activités de PMSE, contribuant ainsi au rayonnement de la culture européenne.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b2059_texte-adopte-commission.pdf
Il n’est pas si fréquent que le Parlement s’empare d’une question avant même le gouvernement, lequel doit présenter un rapport sur ces thèmes à l’Assemblée nationale avant la fin de l’année. Si cette poignée de députés l’a fait, c’est qu’il leur paraît urgent d’agir, eu égard à la lourdeur et à la complexité d’un processus impliquant de nombreux partenaires européens et internationaux. On peut y lire la preuve que certains de nos responsables, peut-être moins obnubilés que d’autres par des bruits de bottes parfois assourdissants, sont encore capables d’adopter une perspective à long terme. Le cours des valeurs culturelles se maintient, du moins en France.
Ne nous y trompons pas cependant: ce n’est que le début d’une procédure semée d’embûches (à commencer par la diversité culturelle, justement) et faisant intervenir des acteurs aussi nombreux que variés. Son aboutissement est donc loin d’être assuré. Mais l’alarme devait sonner, le coup d’envoi être tiré: un groupe de députés français s’en est chargé, et c’est tout à leur honneur.
Pour de plus amples détails sur l’origine et le déroulement de cette rare initiative, ce lien rend compte des débats y afférents:
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/due/l17due25260046_compte-rendu#
Jochen Zenthöfer
