Culture 2021 en France

Culture 2021 en France

Culture 2021 en France 1920 1080 SOS - Save our Spectrum
Ballett Paris Theater
Culture sinistrée

Après le tourisme, la culture est le secteur économique le plus affecté par la crise. Les revenus des secteurs artistiques les plus touchés sont en chute libre par rapport à 2019 :

Musique : – 74% ; théâtre : – 69% ; danse, cirque, arts de la rue : – 68% ; patrimoine : – 65% ; musées : – 64%.

Culture empêchée

De confinement en couvre-feu, la culture partagée – ce « plaisir solidaire » comme le dit joliment Véronique Cayla – s’éteint peu à peu. Les concerts debout sont toujours interdits. La ministre de la Culture semble lier leur reprise à une vaccination « largement diffusée dans le public ». Face à cette incertitude prolongée, les festivals réagissent en ordre dispersé, les Eurockéennes, par exemple, se risquant à annoncer des têtes d’affiche tandis que le Printemps de Bourges se montre plus prudent.

Culture bouleversée

Au-delà de l’impact catastrophique sur ses revenus, le secteur du cinéma observe non sans angoisse que tous les problèmes qui préexistaient à la crise sanitaire se trouvent posés désormais en termes plus urgents : rapports avec les plateformes, financement, chronologie des médias, etc.

Les pessimistes relèvent que l’action de Netflix – auquel la France n’a pas réservé en son temps l’accueil le plus chaleureux – flambe à Wall Street tandis que la plateforme de jeu vidéo en ligne Steam enregistre plus de 20 millions de joueurs simultanés. Ce qui fait dire à certains que ce n’est pas d’une reprise dont le cinéma français a besoin, mais bien d’un New Deal.

Culture assistée

Ce parti pris ambitieux semble la direction prise par les pouvoirs publics. Fidèle à une tradition solidement ancrée et internationalement reconnue de patron des arts, l’Etat français n’a pas lésiné pour venir en aide à l’ensemble des artistes et opérateurs concernés par cet « arrêt sur image » aussi brutal et insolite que durable.

Son plan de relance s’élève à 2 milliards d’euros, dont 514 millions pour favoriser l’attractivité territoriale, 426 millions pour reprendre la main en matière de création et de diffusion artistiques, 113 millions pour l’enseignement et la formation, 428 millions pour la consolidation et le renouveau des filières les plus affectées, et 400 millions pour une véritable stratégie d’avenir.

Amère culture

Nonobstant cet ample soutien, le spectacle vivant conteste la fermeture des salles devant le Conseil d’Etat. Dans la même veine, la manifestation que les syndicats avaient organisée le 15 décembre a marqué les esprits. La ministre, pourtant reconnue comme une « battante », ne trouve plus grâce aux yeux de ceux qu’elle a défendus bec et ongles, et dont certains prétendent que le ministre de l’Economie leur prête une oreille plus attentive.

Les aides, bien que massives et quasi immédiates, se sont révélées impuissantes à sauver les acteurs les plus fragiles: nombreuses petites entreprises indépendantes en faillite, fermetures de galeries, théâtres, compagnies, collectifs, cinémas, festivals, fin d’intermittence faute de contrats, artistes et travailleurs précaires, étudiants d’école d’art déprimés.

Comble d’infortune, la planification stratégique des lieux culturels est impossible, faute de lisibilité des intentions du gouvernement, coupant les ailes des employeurs les plus dynamiques.

Errare humanum est

C’est une maladresse – sans doute inévitable – dans la gestion de la dichotomie entre services essentiels et ceux qui le sont moins qui paraît avoir mis le feu aux poudres. « Si la culture, c’est la France, alors où est la culture pendant cette crise française?”, s’exclament certains. Tout se passe comme si l’on avait gommé ses vertus économiques (2,3 % du PIB, sans compter son fort impact indirect sur les autres industries créatives tels le tourisme et le luxe), mais aussi ses bienfaits sociaux, anthropologiques, psychologiques, philosophiques.

Le débat prend même un tour plus intellectuel, à grand renfort de citations : si « Consommer, c’est exister socialement », comme l’écrivait Baudrillard, c’est se livrer à une bien piètre lecture du comportement des consommateurs que d’oblitérer leurs besoins culturels, si manifestes et massifs qu’ils figurent dans toutes les statistiques. En traçant cette ligne de partage des eaux, le gouvernement aurait-il fait l’économie de la transcendance par l’esthétique ?

Au-delà de la consommation d’une valeur « qui n’est pas une marchandise » – comme le clamait le slogan de l’exception culturelle –, par-delà la simple et trop commode logique économique transactionnelle ou fonctionnelle, se joue la construction identitaire de chacun d’entre nous, notre appartenance sociale et autres valeurs existentielles, critiques et ludiques. Baudrillard souligne le rôle de la « consommation signe », allusion au système d’interprétations complexes qui la sous-tendent.

Autrement dit, consommation et culture sont liées: dans sa complexité, la consommation est elle-même devenue un facteur culturel; les acteurs de la culture sont indissociables du système marchand où ils offrent une forme de réflexion existentielle introuvable ailleurs. L’ampleur des frustrations actuelles se mesure à l’aune de l’apparent aveuglement du gouvernement à l’égard de la beauté véhiculée par la culture, phénomène parfois qualifié de « capitalisme esthétique ». Face à de tels arguments, l’action ne pouvait que passer de la rue de Valois à Bercy, où le ministre de l’Economie paraît comprendre que la culture est un objet de consommation fort convoité.

Escarmouches transatlantiques ?

Si l’éligibilité de la culture – par rapport à la santé ou au reste de l’économie – à un soutien massif de l’Etat suscite un vigoureux débat domestique (on entend dire qu’une authentique inversion de l’exception culturelle serait à l’œuvre), celui-ci pourrait cependant dépasser nos frontières. Un autre argument – qui est à l’origine de l’exception culturelle – menace en effet de faire son retour sur le devant de la scène. La concurrence entre offre culturelle physique et numérique battait déjà son plein : avec la crise, la première est pratiquement suspendue.

A l’inverse, les grandes plateformes qui proposent des contenus virtuels payants (Disney+, Netflix, Amazon, Apple TV, Google Art, etc) font face à une explosion de la demande, notamment sous l’effet de la montée en puissance du streaming ; or il se trouve que la plupart d’entre elles ne sont pas d’origine européenne : les querelles avec Hollywood, que l’on croyait enterrées, vont-elles connaître un nouvel essor, avec de nouveaux protagonistes parés de leurs oripeaux numérisés ?

Remède : une CURE de Culture ?

A l’instar du jugement de Pâris, le binarisme maladroit entre biens essentiels et non essentiels adopté par un gouvernement en quête de leviers de gestion de crise cristallise des dichotomies problématiques, fait apparaître la culture comme futile et dangereuse et nie sa forte valeur sociale et économique, aux termes d’une vision de la santé qui ne reconnaît ni l’acception du bien-être défini par l’OMS ni le rôle joué par la culture pour contenir des conséquences psychologiques majeures.

Et pourtant l’étude CURE menée conjointement par l’UNESCO et la Banque mondiale démontre sans ambages que :

  • La culture favorise la résilience des communautés en renforçant leur cohésion sociale : des communautés soudées socialement se relèvent plus rapidement au cours d’un processus de reconstruction.
  • Une relation directe existe, sur le plan personnel, entre les arts et la culture, d’une part, et le bien-être social et psychologique d’autre part: intégration sociale, plaisir, apprentissage, création de sens, réalisation de soi… En outre, toute une gamme d’expressions artistiques et de divertissements se prêtent à la diffusion d’informations sanitaires, à l’encouragement des comportements souhaitables et à la promotion des recommandations de santé publique.
  • La diversité même des expressions culturelles aide à surmonter les traumatismes et se réconcilier après une crise. Le savoir local et traditionnel, notamment en matière d’agriculture et d’environnement, peut en outre constituer une source de résilience pour de nombreuses populations qui vivent dans des conditions sociales et économiques précaires. En le valorisant et en le diffusant, les artistes et les institutions culturelles favorisent un dialogue efficace et inclusif.
  • La liberté d’expression des artistes et des institutions culturelles fait partie intégrante de la culture: elle est essentielle pour renforcer l’inclusion et n’oublier aucun individu ou territoire. La pandémie de COVID-19 a exposé au grand jour les profondes inégalités dans les villes, en touchant plus durement certaines zones et certaines populations. La culture peut y remédier.

Ce bref tour d’horizon montre, au-delà des chiffres, l’importance symbolique des enjeux actuels : la gestion de notre culture en crise porte en germe l’identité et la réputation culturelles de la France en tant que nation-phare des valeurs humaines universelles, du ciment républicain et de l’excellence. L’expérience que fait tout un chacun des émotions communes, des élans collectifs auxquels donnent lieu les concerts permet de mesurer combien la culture est essentielle pour vivre ensemble dans ce pays au passé et à la mission hors du commun. A quand leur reprise ? A n’en pas douter, ils seront les plus sûrs témoins du renouveau post-Covid. On les attend avec impatience.

SOS – Save Our Spectrum, en Mars 2021.

Photo: David Mark á Pixabay

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